Utiliser des schémas pour dialoguer

La parole est l’outil privilégié quand on veut résoudre un conflit (écoute active, reformulation, questionnement…) en complément du langage non verbal (langage corporel, silences, utilisation de l’espace…). Un autre mode de communication gagne ses lettres de noblesse dans le monde de l’entreprise grâce aux méthodes de créativité et d’innovation : c’est le langage visuel et surtout l’art du schéma. En quoi est-ce utile ? Et surtout comment l’utiliser ?

Amélie Mourichon / Unsplash

Le langage visuel, un mode d’expression incontournable

Le langage visuel, celui des images et des croquis, traditionnellement peu usité, a commencé à émerger notamment en médiation avec le développement de l’usage du tableau/ « paper-board »[1] et de cartes visuelles pour décrire les émotions [2].

L’utilisation mixte langage verbal/langage visuel est l’aboutissement d’un long processus de réhabilitation du langage visuel, longtemps méprisé[3] et qui s’impose désormais dans un monde dominé par la culture de l’image.

La communication des idées passe en effet très souvent par le visuel, et ce de plus en plus :

Enseignement, pédagogie
Orientation dans l’espace
Visualisation de données
Modes d’emploi
Signalétique

C’est ainsi devenu l’outil d’expression privilégié  en créativité et en innovation, certains auteurs appelant à une véritable « alphabétisation visuelle [4]» :

« Nous ne vous demandons pas de faire des petits dessins parce que ça nous amuse. Nous vous le demandons parce que nous sommes convaincus que c’est la façon la plus rapide et la plus facile de transformer des idées abstraites en solutions concrètes »[5].

Pourquoi utiliser des schémas en résolution des conflits ?

Le langage visuel présente des avantages par rapport au seul langage verbal dont il est dommage de se priver :

En médiation, une pratique se développe d’accompagnement par le dessin. C’est par exemple le cas de « médiations visuelles » où les échanges sont retranscrits de façon picturale par des professionnels formés à la fois à la médiation et à la facilitation graphique[6].

Le succès du schéma de la « Roue de Fiutak » symbolisant le processus structuré de médiation processus structuré de médiation en phases [7] est certainement lié à sa capacité à frapper l’imagination et à rester en mémoire :

On peut par exemple utiliser un schéma pour visualiser les différentes dimensions d’un conflit (ce que les parties disent, ce qu’elles pensent, de quoi elles ont besoin …) grâce à une « carte empathique » utilisée en design thinking [8] pour étudier notamment les besoins d’un utilisateur de produit ou de service.

Ici, un jeune employé (à gauche sur le schéma) est en conflit avec son patron (à droite), à propos de la façon de traiter les dossiers, mais surtout parce qu’ils n’ont pas la même perception du risque et de l’action :

Comment utiliser les schémas ?

Le langage visuel peut être intimidant pour ceux qui ne le pratiquent pas ou qui craignent de « ne pas savoir dessiner ».

Or, il n’est pas nécessaire de savoir dessiner pour pratiquer un langage visuel simple et pourtant riche.

Professionnel de l’accompagnement par le dessin, Étienne Appert[9] identifie trois niveaux de pratique pour accompagner et communiquer des idées visuellement :

  • Le gribouilleur-modélisateur est un débutant qui peut acquérir en quelques lectures et formations la capacité d’exprimer simplement des idées par le visuel, à l’aide de schémas et d’illustrations. Pour l’auteur, le développement de ce niveau de compétence en complément d’autres outils d’animation serait déjà une « révolution culturelle » ;
  • Le facilitateur par le dessin est un professionnel capable d’accompagner des clients ;
  • L’accompagnant par les symboles est un professionnel qui se situe dans une dynamique de recherche avant-gardiste autour de la facilitation et de la communication visuelle.

Il est donc possible, dans un premier temps et pour se familiariser avec cette pratique, de viser un niveau de « gribouilleur-modélisateur » et se faire accompagner par des professionnels plus avancés.

Pour entrer « en douceur » dans cette pratique et en saisir tout l’intérêt, puis voir émerger une véritable culture du visuel, le médiateur par exemple peut viser l’objectif d’utiliser des schémas simples ponctuellement dans le processus de médiation pour décrire une situation, exprimer des besoins, et faire apparaître des solutions.


[1] G. Planès et D. Weber, Le kit du médiateur, Médias et Médiations, avril 2017

[2] Par exemple « Le langage des émotions », édité par la FCPPF (fcppf.be ou loveattitute.be).

[3] Otto Neurath pionnier de la communication visuelle dès la première moitié du XXème siècle  y voit un héritage du Moyen-âge, où s’opposaient les lettrés, maniant les mots, et les illettrés, qui devaient se contenter d’images, conduisant selon lui à une « attitude puritaine » envers les images et à une opposition entre un mode supérieur, la communication verbale, et un mode inférieur, la communication visuelle, in O. Neurath, sous la direction de M. Eve et C. Burke, Des hiéroglyphiques à l’Isotype, une autobiographie visuelle, Edition française Editions B42 2018 (2010 pour l’édition originale).

[4] S. Brown, Le gribouillage c’est tout un art, Edition française Diateino, 2017 (2014 pour l’édition originale)

[5] J. Knapp, Sprint comment résoudre les problèmes et trouver de nouvelles idées en cinq jours, Eyrolles, 2017

[6] B. Forand, La puissance du visuel au service de la médiation, Inter-médiés, 23 juillet 2020, voir aussi l’interview d’Etienne Appert dans « ça me dit live » avec Martin Lacour et Céline Berard-Bondoux, disponible sur YouTube

[7] T. Fiutak, avec Gabrielle Planès et Yvette Colin, Le médiateur dans l’arène, réflexion sur l’art de la médiation, éditions Erès 2012 (2011 pour la 1ère édition), Préface de Jacques Salzer

[8]Par exemple S. Brown, Le gribouillage c’est tout un art, Edition françaiseDiateino, 2017 (2014 pour l’édition originale), voir plus généralement D. School Design Thinking Bootleg, 2018 (collectif) https://dschool.stanford.edu/resources/design-thinking-bootleg

[9] E. Appert, Penser, Dessiner, Révéler !, Eyrolles, 2018