2. Identifier des hypothèses probables
Raisonner par conjectures
Le “raisonnement à rebours” de Sherlock Holmes n’est pas à proprement parler l’art de la déduction, il combine en réalité plusieurs outils : la déduction, l’induction et surtout l’abduction1,2,3,4.
Dans une déduction, on dispose d’informations de départ, les prémisses, et on identifie une conclusion certaine qui ne nous apprend aucune nouvelle information par rapport aux prémisses, puisqu’elle en découle. Par exemple : la majorité est à 18 ans et j’ai plus de 18 ans, DONC je suis majeure.
L’induction consiste quant à elle à tirer d’un fait connu une règle possible sur la base de l’empirisme. Par exemple : tous les chats que j’ai observés ont des moustaches, j’en induis que tous les chats ont des moustaches.
L’abduction (du latin abductio – emmener) va plus loin : elle permet d’identifier une explication probable du fait connu. Autrement dit, elle consiste, dans la relation cause à effet, à remonter de l’effet vers une cause possible. Par exemple, je constate que le trottoir est mouillé, alors je suppose qu’il a plu. Mais cela pourrait aussi être dû à un nettoyage récent du trottoir. Donc je vais chercher d’autres indices pour confirmer mon hypothèse, comme de l’eau sur les voitures ou les toits.
Le raisonnement hypothétique à la base de l’abduction était connu depuis Aristote mais a été mis en valeur par le sémioticien américain Charles Sanders Peirce (1839-1914) qui considérait que l’abduction était essentielle à la recherche scientifique car c’est avec ce type d’hypothèse « audacieuse » et créative qu’on peut apporter une idée nouvelle5.
Pour Maria Konnikova, ce qui différentie Sherlock Holmes des autres enquêteurs autour de lui est justement cette capacité à se projeter dans l’hypothétique, au contraire d’un pur raisonnement mécanique6.
Par exemple, dans L’Escarboucle bleue, (in Les Aventures de Sherlock Holmes), Sherlock observe qu’un chapeau est très abîmé. Grâce à ses connaissances, il sait que c’est un chapeau très onéreux, sorti il y a trois ans. Selon lui, une personne qui a les moyens d’acheter un tel chapeau l’aurait remplacé avant qu’il soit abîmé, si elle en avait toujours les moyens. Il émet donc l’hypothèse que son propriétaire était aisé et a connu un revers de fortune.
Mais comme c’est seulement une possibilité parmi d’autres, et que cela repose sur une conjecture tirée de ses connaissances, une abduction (comme l’induction) est toujours provisoire jusqu’à sa démonstration : “Prenons cela comme hypothèse de travail, et voyons où cela nous conduit« (Silver Blaze in Les Mémoires de Sherlock Holmes).
Pour House, l’abduction intervient quand il s’éloigne du diagnostic simple pour imaginer une explication hors cadre qui puisse coller avec tous les symptômes, alors même que « rien ne colle ». C’est le cas lorsqu’il imagine qu’une patiente a attrapé des parasites « dormants » au cours d’une baignade et que c’est un choc qui les a récemment libérés dans son corps (*).
Dans un ouvrage co-dirigé par Umberto Eco, Le Signe des Trois : Dupin, Holmes, Peirce, l’application de ces trois outils par Sherlock est résumée ainsi : il collecte et met les données en perspective (induction), puis formule les causes possibles (abduction), identifie les conséquences logiques de ses hypothèses (déduction) et il expérimente les hypothèses par rapport aux conséquences à attendre (induction)7.
Chercher le maximum de pistes
Creuser les alternatives
Le premier enjeu est d’identifier un maximum d’hypothèses et non pas la première solution séduisante, car ce serait une perte du temps si elle n’était pas confirmée.
House et son équipe consacrent ainsi une grande partie de leur temps au “diagnostic différentiel”, le processus qui consiste à comparer les symptômes du patient avec tous les potentiels diagnostics associés, autrement dit les différents “suspects”8.
Ils cherchent alors à répondre à la question “qu’est-ce que ça pourrait être d’autre?” de manière la plus ouverte possible. Le but étant d’éviter de se jeter à corps perdu dans un traitement qui pourrait être une fausse piste mais également d’écarter trop prématurément une piste importante : “Je ne veux pas savoir ce que ce n’est pas. Je veux savoir ce que ça pourrait être » (S6-E19).
Pour mener les diagnostics différentiels, House réunit son équipe dans son bureau autour d’un tableau blanc, sur lequel il écrit la liste des symptômes du patient. Cela les oblige à se poser, même quand le patient est entre la vie et la mort. Lors de ces sessions, House reste ironique et désagréable, mais il est vraiment à l’écoute des idées des autres et ne cherche pas à imposer son point de vue.
Son objectif est en effet de couvrir le maximum d’hypothèses crédibles : “Allez, dites ce qui vous vient en premier. Je m’en fiche si c’est ridicule, dites quelque chose (S1-E16)”. En tout cas, il cherche constamment à ouvrir des alternatives, même quand il a l’air de jouer aux devinettes :
Kutner : « Ça pourrait être une sorte de narcolepsie…
House : Laquelle est causée par…
Kutner : Souvent un terrain génétique ?
House : Ou bien… ?
“Numéro 13” : Si vous connaissez la réponse, pourriez-vous nous la donner ?
House : Je ne connais pas la réponse. Ce qui nous ramène à “ou bien… ?
Kutner : Un facteur environnemental…
House : C’est-à-dire… ?
Taub : Une toxine ?
House : Et donc… ?
“Numéro 13” : Et donc on est paumés !
House : C’est la vérité quand je dis que je ne sais pas où on va. Je me contente de suivre les indices” (S5-E6).
Et à chaque suggestion, il étudie le point et propose souvent un examen pour valider ou non l’hypothèse.
Chercher différentes hypothèses alternatives est aussi un réflexe pour Sherlock Holmes : “J’ai identifié sept explications différentes qui pourraient coller aux faits tels que nous les connaissons” (Les Hêtres rouges, in Les Aventures de Sherlock Holmes).
Dans les méthodes modernes de créativité et d’innovation, on distingue effectivement trois grandes étapes qui se succèdent et ne doivent pas être escamotées : la divergence, qui consiste à ouvrir le maximum de pistes sans aucune censure, puis l’émergence des idées, et enfin la convergence qui consiste à sélectionner les idées viables en revenant à la réalité9.
En phase de divergence, il est recommandé de laisser venir les idées sans jugement, de rebondir sur les idées des autres même si elles ont l’air ridicules, car une bonne idée peut apparaître dans le sillage d’une idée ridicule.
Réfléchir avec d’autres personnes, chercher des avis différents
House et Holmes semblent répondre au cliché du génie perché entouré d’abrutis, qui aurait (presque) toujours raison. En réalité ce n’est pas le cas et le rôle de Watson ou de l’entourage de House ne doit pas être sous-estimé dans la réussite des deux héros car leur présence est indispensable pour leur permettre de garder l’esprit ouvert.
Ainsi, Sherlock Holmes est moins autosuffisant qu’il y paraît : “Rien n’éclaircit autant un cas que de l’expliquer à une autre personne” (Silver Blaze, in Les Mémoires de Sherlock Holmes).
C’est évidemment Watson qui joue ce rôle de révélateur. Holmes n’hésite pas à débarquer chez son ami à minuit pour lui raconter le dernier cas qui le préoccupe: “J’ai déjà réfléchi au problème et suis parvenu, je crois, à portée de vue de ma solution. Si vous pouviez m’accompagner dans la dernière étape, vous me rendriez un immense service” (L’Homme tordu, in Les Aventures de Sherlock Holmes).
Pour House c’est encore pire : il est incapable de travailler sans interlocuteurs.
Cela transparaît le jour où une mystérieuse épidémie éclate dans l’avion à bord duquel il se trouve sans son équipe (S3-E18). Il désigne alors des “volontaires” parmi les passagers pour jouer les ersatz : un qui doit être toujours d’accord avec lui, un autre qui ne doit jamais être d’accord, une troisième qui doit s’offusquer sur le plan éthique… et la carlingue de l’avion, qui joue le rôle du tableau blanc.
Et lorsque ses trois premiers collaborateurs s’en vont simultanément, Wilson et Cuddy comprennent vite qu’ils vont l’avoir aux basques toute la journée s’il ne recrute pas une nouvelle équipe (S4-E1).
Double spécialiste en néphrologie et en maladies infectieuses, House est une sommité en matière de diagnostics de haute voltige. Il n’en cherche pas moins à s’entourer de partenaires de différentes disciplines qui le complètent :
- James Wilson est cancérologue
- Lisa Cuddy est endocrinologue
- Eric Foreman est neurologue
- Allison Cameron est immunologue
- Robert Chase est chirurgien
- “Numéro 13” est spécialisée en médecine interne etc.
Surtout, il ne veut pas d’un fan-club mais de véritables partenaires qui lui apportent des approches différentes et soient capables de lui résister. Il s’énerve ainsi quand Foreman se range docilement à son avis contrairement à son habitude : “Je veux qu’il défende son point de vue !” (S2-E22).
De même il refuse la candidature d’un potentiel collaborateur avec qui il était pourtant sur la même longueur d’ondes. Ce dernier comprend son éviction : “Vous n’avez pas besoin de quelqu’un qui vous dise ce à quoi vous pensez déjà”(S4-E4).
Joseph Bell aussi sélectionnait parmi ses meilleurs étudiants de jeunes médecins pour travailler avec lui, dont un certain Arthur Conan Doyle, qui prenait fiévreusement des notes10.
Pour House, la variété se retrouve également au niveau des personnalités, toutes très différentes : s’il se reconnaît en “Numéro 13”, Cameron ou Taub freinent son côté tête brûlée tandis que Kutner a des idées encore plus folles que les siennes.
Et comme dans la relation Holmes/Watson, House admet que Wilson représente son antithèse indispensable : “Ta façon de penser est brouillonne, sans méthode et non linéaire : elle complète la mienne, elle me mène sur des voies auxquelles je n’aurais pas pensé” (S5-E2).
Quant à sa boss Cuddy, leur confrontation permanente est autant un carburant qu’un cadre qui le stabilise. Alors, quand ils se mettent finalement ensemble après des années à se tourner autour, ils sont perdus : comment préserver leur relation tout en continuant à se contrebalancer ?
Utiliser des boussoles logiques
Identifier les pistes comme apprécier leur probabilité suppose de naviguer parmi toutes les éventualités, ce que House et Holmes font grâce à des repères qu’ils appliquent systématiquement.
- Aller de l’impossible vers le possible
Sherlock procède alternative par alternative, en commençant par chercher ce qui est impossible, puis, petit à petit, il se rapproche de la vérité : “Quand vous avez éliminé l’impossible, quoi qu’il reste, même improbable, doit être la vérité » (Le Signe des Quatre).
Et quand tout est impossible, alors quelque chose doit être faux dans les postulats de départ par exemple des éléments du dossier médical (*). La difficulté tient souvent au fait qu’on peine à distinguer les éléments cruciaux des éléments secondaires, comme un symptôme qui oriente vers une fausse piste alors qu’il n’a rien à voir avec la pathologie.
Toujours pour procéder par élimination, House suit souvent la règle du “rasoir d’Occam”, qui dit que l’explication la plus simple doit être privilégiée :
Le patient : « J’ai eu des coups de fatigue et je me sens faible…
House : Est-ce que ça pourrait avoir un rapport avec le fait que vous avez 102 ans?” (S7-E2)
- Rechercher des anomalies, des constances, des différences
Comme un chien qui flaire une piste, le pire pour Sherlock, c’est la banalité, c’est l’odeur qui ne se distingue pas des autres.
En effet, il considère que “la singularité est pratiquement toujours un indice. Plus un crime est banal et sans caractéristiques, plus il est difficile de l’élucider ” (Le Mystère de la vallée de Boscombe, in Les Aventures de Sherlock Holmes).
House court aussi après toute situation anormale ou étonnante, comme dans cet échange avec son équipe lorsque l’un des leurs, Eric Foreman, a été contaminé par le patient :
Cameron : « La maladie suit la même évolution que chez Joe.
Chase : Sauf qu’elle avance beaucoup plus vite chez Foreman.
House : Très bien ! C’est une anomalie. Les anomalies nous donnent des informations. Pourquoi ça irait plus vite chez Foreman, qu’est-ce qui est différent ?” (S2-E21)
De même, lorsqu’il constate que la patiente va moins bien après avoir cessé d’être exposée à l’arsenic, il s’accroche à cette curiosité et se demande ce que “soigne” l’arsenic (*).
Il est aussi attentif aux étranges coïncidences, comme deux pathologies rares se retrouvant chez la même patiente (S6-E12).
Ou confronté à une corrélation de phénomènes, il interroge l’existence d’une causalité entre les deux, et dans quel sens : est-ce une maladie physique qui cause le trouble mental ou une maladie mentale qui est à l’origine des troubles physiques (*) ?
Enfin, de manière générale, House va apprécier la probabilité d’une hypothèse par rapport au contexte et à ce qu’il sait du mode opératoire de telle maladie.
Sherlock jugera aussi plus probable que la canne d’un médecin portant la mention “CCH” vienne d’un “Charing Cross Hospital” que d’une amicale de chasseurs finissant par ”Hunt” (Le Chien des Baskerville).
Finalement, du fait sa logique, le raisonnement tombe sous le sens une fois que Sherlock explique comment il est arrivé à sa solution :
“- Et là, Watson, admettez que vous êtes stupéfait.
-Je le suis.
-Je devrais vous faire signer un papier dans ce sens.
-Pourquoi ?
-Parce que dans cinq minutes vous allez dire que c’était tellement simple ! » (Les Hommes dansants, in Le Retour de Sherlock Holmes).
L’ensemble de cette gymnastique cognitive n’est possible que parce que House et Holmes ont développé, pour le meilleur et pour le pire, des qualités qui semblent a priori opposées et qui pourtant sont le socle du travail scientifique : extrême rationalité d’un côté, curiosité et créativité quasi-enfantines de l’autre.
Agir en scientifique : rationalité, curiosité et créativité
Privilégier le rationnel sur l’émotionnel
Dans une lettre à Joseph Bell, Conan Doyle décrit Sherlock Holmes comme une “machine à calculer, et à peu près autant susceptible de tomber amoureux“11.
Il mène effectivement une vie de moine, toute entière consacrée à la science, tandis que House oscille entre résistance et dépendance dans les rares relations amoureuses qu’on lui connaît.
En tout cas, dans leur travail, l’un et l’autre privilégient toujours le rationnel sur l’émotionnel, comme le martèle Holmes : “L’investigation est, ou devrait être, une science exacte et traitée de la même manière, froide et sans émotion” (Le Signe des Quatre).
Le point positif est qu’ils ne perdent jamais de vue la réalité objective et anticipent les biais. Ainsi, dans Le Chien des Baskerville, Sherlock garde la tête froide quand on lui explique que des crimes seraient commis par une créature légendaire : “Mais si votre théorie surnaturelle est exacte, elle menace le jeune homme aussi bien à Londres que dans le Devonshire. Un démon qui n’aurait de pouvoirs que localement, comme un conseil paroissial, paraît difficilement concevable”.
House est aussi plutôt terre-à-terre :
House, à propos d’un bébé : « Elle va mieux.
Les parents : Merci mon Dieu !
House : Techniquement, merci Alexander Fleming. Il a développé les antibiotiques” (S1-E18).
House s’obstine toujours dans la voie que commande son analyse scientifique pure, faisant fi des lois, des procédures, des risques ou de l’éthique, car il cherche la vérité même lorsqu’elle fait peur, comme le diagnostic de la maladie de Huntington qui condamne la Dr. Hadley, sa collaboratrice qu’on surnomme “Numéro 13”.
Mais s’il rejette sentimentalisme et croyances, son manque d’empathie est plutôt révélateur d’une faiblesse. Ainsi House fuit ses malades et laisse son équipe aller au contact – il préfère la compagnie des patients dans le coma auprès desquels il prend son sandwich à midi.
Et quand il daigne claudiquer jusqu’à la chambre du patient, c’est pour jouer le bad cop car selon sa devise, “tout le monde ment” (d’où le titre de l’épisode pilote, S1-E1 “Everybody lies”). Pour la Dr. Lisa Sanders, House est en fait confronté aux mensonges de ses patients parce qu’il échoue à créer la relation de confiance qui facilite l’expression de la vérité12.
Selon Wilson, c’est une stratégie pour garder une certaine distance : “La raison pour laquelle tu ne veux pas voir les patients, c’est que si tu les connaissais, tu en aurais quelque chose à faire. Et si tu en as quelque chose à faire, tu arrêtes de prendre des risques insensés” (S2-E21).
Si House arbore une façade ultra-rationnelle, il se montre en réalité incapable de maîtriser ses émotions autrement qu’en les étouffant avec un opiacé, ce qui le conduira en hôpital psychiatrique et en prison. Il rappelle en cela le personnage de Charlie Gordon dans Des fleurs pour Algernon, quand ce dernier arrive au sommet de ses capacités intellectuelles mais que sa maturité émotionnelle et sociale n’a pas suivi.
Car finalement, peut-on séparer raison et émotion ?
Dans sa méthode des “6 chapeaux”, Edward de Bono propose de traiter un problème selon tous ses aspects et évidemment les données factuelles (chapeau blanc). Il ne néglige pas pour autant le volet émotionnel (chapeau rouge). En revanche, il l’isole et le circonscrit pour qu’il ne submerge pas les autres volets.
Être créatif, curieux et joueur
Sherlock affirme à plusieurs reprises l’importance de l’imagination dans son travail : “On pèse les probabilités pour choisir la plus probable. C’est l’utilisation scientifique de l’imagination” (Le Chien des Baskerville).
L’imagination et la créativité sont des qualités partagées avec les artistes, qui leur permettent également de se projeter dans l’inconnu et l’hypothétique, comme le reconnaît Sherlock quand il révèle avoir hérité ses talents de sa grand-mère française, qui avait aussi un frère artiste : “L’art dans le sang peut prendre les formes les plus étranges” (L’Interprète grec, in Les Mémoires de Sherlock Holmes).
Le frère aîné de Sherlock, Mycroft Holmes, est gratifié des mêmes dons, mais répugne à salir son veston à plat ventre sur les scènes de crime et préfère travailler pour le gouvernement. Selon Sherlock, à l’occasion il est le gouvernement (Les Plans du Bruce-Partington, in Son dernier coup d’archet).
De son côté, House trouve sa fille spirituelle en sa nouvelle recrue Martha Masters, une étudiante en médecine déjà titulaire à 23 ans de deux doctorats, l’un en mathématiques et l’autre en histoire de l’art (S7-E6).
Et cette dimension créative explique aussi leur tempérament perçu comme fantasque, commun à d’autres grands scientifiques :
“-Je ne crois pas qu’il y ait lieu de vous inquiéter, dis-je. Il y a généralement de la méthode dans sa folie.
-Certains diraient qu’il y a de la folie dans sa méthode, marmonna l’inspecteur” (Les Propriétaires de Reigate, in Les Mémoires de Sherlock Holmes).
La créativité s’associe souvent à une curiosité insatiable, laquelle n’est pas un vilain défaut chez nos deux détectives, mais leur plus précieuse qualité, qui leur permet de tout voir et de tout savoir. Et si on leur cache quelque chose, ils vont fouiner sans vergogne :
Taub, au téléphone : « Vous êtes où ?
House : Au parking, je suis en train de fouiller dans la voiture de Wilson” (S7-E12).
Enfin la créativité et l’imagination ont une dimension ludique, et pour Holmes, les enquêtes sont effectivement comme un jeu qui stimule son esprit, ce qu’il exprime par « The game is afoot« , une de ses célèbres répliques qu’on pourrait traduire par « ça joue ! » (Le Manoir de l’Abbaye, in Le Retour de Sherlock Holmes).
Idem pour House, comme le dit Wilson : “Certains médecins ont le complexe du Messie, ils veulent sauver le monde. Toi, tu as le complexe du Rubik’s cube, tu veux résoudre le casse-tête” (S1-E9).
C’est pourquoi House ne supporte pas les consultations normales sans suspense que Cuddy prend un malin plaisir à lui attribuer façon heures de colle.
Son âme d’enfant lui permet d’enfoncer les portes et de tout remettre en question, mais elle l’incite aussi à ignorer les limites quand ça l’arrange, jusqu’à, par exemple, cracher sur la blouse d’un chirurgien pour empêcher une opération d’avoir lieu (S1-E11).
Cela va de pair avec un comportement capricieux, égoïste, possessif, impatient, impulsif, irrespectueux, ingérable qui lui a valu d’être viré de quatre hôpitaux.
Pour Hugh Laurie, c’est là que réside le sel du personnage : “L’étrange combinaison d’autant d’intelligence et de capacités, avec le cerveau d’un gamin de 8 ans“13.
Afin d’éviter de passer à côté d’une piste ou d’en écarter une prématurément, il est indispensable de rechercher le maximum de pistes potentielles sans se censurer au départ, pour ensuite sélectionner celles qui seront testées en fonction de leur probabilité. Les anomalies et autres bizarreries ne doivent pas être craintes ni écartées car les singularités mènent aux hypothèses, de même que les constances et les différences. Et c’est l’imagination et la créativité qui permettent de se frayer un chemin vers l’inconnu.
Pour lire la suite : 3ème partie Valider les hypothèses
- M. Konnikova, Mastermind, How To Think Like Sherlock Holmes, Canongate, 2013 ↩︎
- U. Eco, T.A. Sebeok et al., The Sign of Three, Dupin, Holmes, Peirce, Indiana University Press, 1983 ↩︎
- J.J. Abrams, La logique de l’hypothèse chez Sherlock Holmes et Dr. House, in House And Philosophy, Everybody Lies, sous la dir. de Henry Jacoby et W. Irwin, J. Wiley & Sons, 2009, éd. française, Original Books, 2011, trad. M.E. Konnigson ↩︎
- B. Keep, What Sherlock Holmes Got Wrong : Deduction, Induction And Abduction, YouTube ↩︎
- Note 2 ↩︎
- Note 1 ↩︎
- Note 2, chap.5 ↩︎
- A. Holtz, The Medical Science In House M.D, Berkley Boulevard, 2006 ↩︎
- G. Aznar, A. Bléas, 99 idées pour trouver des idées tout seul ou à plusieurs, Eyrolles, 2018 ↩︎
- E. M. Liebow, Dr. Joe Bell, Model For Sherlock Holmes, University of Wisconsin, P. Press, 1982, éd. 2007 ↩︎
- Note 10 ↩︎
- Dr. L. Sanders, All Patients Have A Story To Tell, Broadway Books, 2009 ↩︎
- Interview de Hugh Laurie, Larry King Now, 2013, YouTube ↩︎