Arthur Communal est consultant dans le domaine de la restauration : il conseille des restaurateurs dans l’optimisation de leur activité. Après mon article sur la façon dont le Chef Etchebest résout les conflits dans “Cauchemar en cuisine”, j’ai voulu voir comment ça se passe dans “la vraie vie”. Il a eu la gentillesse de m’accorder un entretien sur le thème des confits et du relationnel dans le secteur de la restauration : les types de conflits rencontrés, comment les prévenir, les traiter et ses petits conseils pour améliorer le relationnel dans le secteur, qui peuvent inspirer bien au-delà !
Peux-tu nous présenter ton métier et ton parcours ?
Je suis à la fois sommelier caviste et consultant : j’aide les restaurateurs dans l’optimisation de leur établissement pour mieux maîtriser les coûts, mieux intégrer les équipes et mieux comprendre les besoins des clients.
Concrètement, ça veut dire optimiser tout ce qui peut l’être : la carte et évidemment la carte des vins et boissons (l’adapter au restaurant et permettre aux équipes de se l’approprier), les marges, l’inventaire, le sourcing etc.
Mais c’est aussi travailler sur la communication interne et le relationnel pour que tout le monde dans le restaurant puisse être plus serein.
J’ai commencé dans la restauration rapide : une formation “à la dure” en ce qui concerne les aspects financiers, en particulier les marges et aussi le management. Ensuite j’ai intégré plusieurs établissements allant du restaurant traditionnel au semi-gastronomique, notamment dans le cadre d’un cursus de service spécialisation sommellerie.
Cela me donne une vision assez globale des réalités du secteur.
Quels types de conflits rencontrent les restaurateurs ?
L’essentiel des conflits se pose entre la salle d’une part, et la cuisine de l’autre.
Ils ont l’impression de ne pas pouvoir s’entendre car trop différents : d’un côté la mise en place, de l’autre le ménage, pas les mêmes horaires, pas les mêmes contraintes…
On peut vite penser que les autres ont la belle vie pendant qu’on en bave. C’est surtout par méconnaissance de la réalité en face.
Le patron est généralement le chef, donc côté cuisine.
On voit un changement car de nombreux restaurateurs sont en reconversion, ils viennent des métiers de la finance, du marketing et sont plus souvent en salle. Ils ont plus le point de vue du client. Le rapport hiérarchique entre la cuisine et la salle peut alors évoluer.
Autre facteur de conflit, quand on travaille en famille. Souvent on est plus cash avec ses proches, on se dit qu’ils ne prendront pas les choses mal et ça peut devenir encore pire.
Et ce n’est pas du tout la même chose de travailler ensemble que d’être en couple par exemple ! J’ai même vu un restaurant où c’était l’ex-compagne du chef qui gérait la salle…
Enfin on rencontre des conflits entre associés, comme dans d’autres secteurs, avec en plus le facteur familial, voire le “couple d’associés”…
Quelles seraient tes recommandations pour gérer ces conflits ?
D’abord essayer au maximum de les prévenir.
Pour éviter les conflits salle-cuisine, je conseille souvent d’organiser une journée “inversée”’ où les équipes de la cuisine s’occupent de la salle et vice versa.
Cet exercice active l’empathie des uns et des autres car ils vivent la réalité de l’autre : la température suffocante de la cuisine, la mise en place, le contact des clients et les retours parfois désagréables etc.
Quand on a fait un vrai service de l’autre côté on comprend mieux et ça désamorce beaucoup de “ressentiments” qui nourrissent ensuite les conflits au quotidien.
En général, on organise cela lors de petits services, idéalement pendant la période de recrutement de nouveaux employés et en rappel au moins une fois par an.*
Et pour les conflits entre associés ?
Je recommande d’éviter une répartition des parts à 50-50.
Il vaut mieux qu’il y ait un décisionnaire ultime, même à 49-51. La différence financière est infime (et peut se négocier) mais surtout, il y a moyen de sortir d’un blocage.
Avec une telle répartition, même l’associé minoritaire se sent “chez lui” et c’est plutôt un bon signe de maturité quand c’est accepté. Cela veut dire qu’il a été capable de recul et de se dire que l’autre est peut être meilleur sur l’aspect gestion.
Généralement celui qui est majoritaire est reconnaissant de la confiance qui lui est témoignée et se sent responsabilisé vis-à-vis de son associé. C’est un cercle vertueux qui se met en place : les associés sont alors plus soudés.
On a tendance à se dire qu’on va s’associer avec quelqu’un de complémentaire… je dirai plutôt qu’il faut s’associer avec quelqu’un avec qui on a envie de passer sa vie !
Sur le côté familial, je trouve plutôt dangereux de multiplier les associations (mariage + associés d’entreprise par exemple) car on multiplie les risques de rupture…
Et comment faire pour résoudre les conflits s’ils apparaissent ?
Il faut trouver d’abord le bon moment pour le faire.
Au milieu du coup de feu, quand la tension monte, on a tous autre chose à faire et on n’a pas envie de régler quoi que ce soit. Il ne faut pas couper l’élan.
Après le service, on peut prévoir un temps de débriefing, comme il existe un temps de briefing de début de service plus habituel.
C’est l’occasion de faire remonter les problèmes rencontrés entre la salle et la cuisine, les retours clients etc.
Idéalement, avoir un tiers animateur impartial qui facilite les échanges, par exemple simplement dire “laisse-le parler” c’est important.
J’ai déjà vu des clients habitués jouer ce rôle accoudés au bar avec leur digestif, et ça marche !
Dans les grands groupes, on peut avoir des représentants du personnel ou une personne reconnue par l’équipe, comme quelqu’un connu pour être “toujours calme et posé”.
J’ai eu l’occasion d’être ce tiers une fois et j’en ressors du positif : ça pousse à “balancer tout même les riens”, les détails qui s’accumulent.
Je ne suis pas fondamentalement opposé au conflit : parfois il faut que ça pète. C’est une remise à zéro, au moins sur le coup, mais on constate sur les services suivants que c’est plus fluide.
L’intervention d’un tiers extérieur formé à la médiation te paraît-elle souhaitable ?
Oui, on pourrait aussi imaginer organiser des débriefings une fois par an ou plus régulièrement à froid avec un médiateur.
Je pense que le besoin existe mais la difficulté serait de faire prendre conscience de ce besoin… il y a encore une tendance lourde à vouloir tout faire seul.
Pour le médiateur, être extérieur serait factuellement un avantage mais plutôt perçu comme un inconvénient.
D’un côté, cela éviterait l’effet “il est serveur/cuisinier, il va favoriser l’autre”. Mais d’un autre côté la restauration reste une tribu et un spectacle. Il y aurait des réticences à faire entrer un “profane” dans l’envers du décor.
Le problème en restauration c’est finalement toujours l’absence de compétence en communication.
Mais ça évolue, notamment avec l’arrivée de restaurateurs venant d’autres milieux.
Comment vois-tu l’évolution des aspects relationnels dans le métier ?
Pendant des décennies, la culture en restauration était très hiérarchique, quasi-militaire – avec des termes comme “brigade” par exemple, et marquée par une mentalité qui consiste à dire “j’ai douillé à mon époque, c’est normal que la jeune génération douille à son tour”.
Les égos des chefs sont particulièrement forts – et d’ailleurs entretenus par les émissions culinaires qui glorifient les chefs. C’est une bonne chose car l’égo est un moteur puissant – surtout au démarrage, il faut croire en soi – mais à long terme, cela peut conduire à des excès et un repli dangereux.
On a vu des chefs refuser que leurs apprentis fassent les plats pour garder les recettes secrètes… résultat, ils devaient les faire systématiquement eux-mêmes !
Certains chefs préfèrent se planter seuls que réussir à l’écoute des autres.
Or le secteur est actuellement dans une phase de changement sur l’aspect management et relationnel.
A cause de la pénurie d’employés, on ne peut plus dire “si tu n’es pas content, la porte est ouverte, il y en a 10 qui attendent”… Il y a plutôt 10 restos qui attendent pour 1 employé !
Il y aussi d’autres facteurs à prendre en compte : le client est plus informé, plus exigeant, il faut communiquer, savoir raconter l’histoire du plat ou des producteurs, maîtriser les réseaux sociaux etc.
C’est donc essentiel d’avoir des employés motivés qui se sentent concernés et engagés qui véhiculent une image positive du restaurant, et c’est impossible si on les considère comme des “porteurs d’assiettes” comme on l’entend encore trop souvent.
C’est donc un changement d’approche total pour notre secteur.
As-tu des conseils pratiques pour améliorer les relations dans le restaurant ?
Quelques conseils de base en management qui sont encore trop peu pratiqués, par exemple “féliciter en public, recadrer en privé”.
Le choix de la cuisine ouverte aussi : quand on est visible des clients, on doit parler doucement, c’est un bon garde-fou.
Une autre piste, c’est de valoriser et fidéliser les équipes en leur donnant des opportunités de formation et d’évolution interne.
Aujourd’hui, le métier de restaurateur ce n’est plus seulement de la “bonne bouffe” et un service correct. C’est aussi une déco engageante, la communication et le storytelling pour renforcer la relation client etc.
Et qui dit plus de métiers, dit plus d’opportunités. On peut confier à un employé la communication sur les réseaux sociaux, la déco du restaurant, la réalisation d’une nouvelle recette etc (avec une prime évidemment !).
On peut aussi faire participer les clients : par exemple un sondage Facebook pour savoir quelle sera la nouvelle recette du mois suivant.
Enfin, je trouve très bien que le chef vienne parler avec chaque table quelques minutes, quand il a terminé son service.
Cela permet de booster la prise en compte de l’expérience client, d’avoir des retours en direct sans filtre parfois déformant, ce qui évite de louper une info ou de rester sourd aux retours de la salle.
Et en cas de difficulté avec un client, c’est important d’expliquer les choix qui ont été faits, et les contraintes avec lesquelles on doit souvent composer. Des solutions inattendues peuvent aussi émerger.
En résumé, le mieux c’est d’identifier la source de tension le plus vite possible, pour la désamorcer…
Finis les ours mal léchés enfermés dans leur cuisine 😉 !