L’art d’être en désaccord : une compétence d’avenir

L’autre jour, j’ai rêvé que je vivais dans un monde peuplé uniquement par mes clones : on était d’accord sur tout, c’était bien pratique, mais par contre pour cuisiner, il n’y avait plus personne…! Bien sûr, c’est frustrant de devoir composer avec les autres, alors on lutte pour éviter les conflits, quitte à tendre vers un monde aseptisé où personne ne fait de vague ou au contraire ultra-polarisé faute de pouvoir s’exprimer autrement… Et si au contraire, mieux savoir être en désaccord, c’était le meilleur moyen pour surmonter les conflits et trouver des solutions vraiment satisfaisantes ?

Kevin Turcios/Unsplash

Pourquoi élude-t-on les désaccords ?

Nous avons tous peur des conflits.

Certains définissent le “conflit” comme la confrontation directe agressive, voire physique, de “haute intensité”, ou encore comme le refus de toute relation de type “guerre froide”.

D’autres voient un conflit dans toute expression d’un désaccord, qui remettrait en cause leur personne, leur valeur.

En tout cas, le désaccord est souvent vécu comme une confrontation menaçante.

Si vous n’êtes pas avec moi, c’est que vous êtes contre moi !

Or, devant toute menace, notre cerveau reptilien ne connaît que trois voies de sortie :

  • Fuir
  • Céder
  • En découdre

De fait, être en désaccord demande un effort important, et selon les recherches, cela mobilise beaucoup de ressources cognitives.

On cherche alors à avoir la “paix”, ou plutôt une sorte de silence indolore à court terme (mais quid à long terme ?).

Le risque est donc que l’opinion du plus fort, physiquement ou symboliquement, l’emporte et ne tienne pas compte d’éclairages qui auraient pourtant pu lui être utiles…

Dans les situations d’urgence, il est vrai qu’on n’a pas le temps de confronter toutes les visions car il faut agir rapidement. On doit alors espérer que celui ou celle qui impose sa vision est légitime pour le faire, de par ses connaissances et son niveau d’expérience…

Alors faut-il éviter d’exprimer un avis contraire ou refuser de l’écouter ?

C’est une erreur qui génère des frustrations et de toute façon, la cocotte-minute explosera un jour ou l’autre.

Quels sont les avantages du désaccord ?

Pourquoi s’ouvrir à la divergence d’opinion :

  • Quelqu’un qui exprime un désaccord se sent concerné par le sujet, le projet, son interlocuteur, l’organisation. “La boucler” est au contraire un signe de désintérêt, voire de “démission silencieuse” (quiet quitting) selon l’expression en vogue en ce moment. On devrait plutôt valoriser le désaccord comme signe de motivation et d’intérêt.
  • Dans un monde en évolution très rapide, il devient de moins en moins probable de tout maîtriser : accepter qu’une vision différente soit enrichissante devient un savoir-être incontournable.
  • Un avis différent permet de sortir de son cadre et peut faire émerger une troisième voie plus pertinente.
  • S’ouvrir aux opinions différentes montre une certaine confiance en soi, l’inverse est un signe d’insécurité.
  • Permettre à la divergence de s’exprimer évite son explosion sous une autre forme ultérieurement. Car certes le pouvoir dominant peut croire qu’il tait les désaccords mais il en souffre toujours à long terme (démotivation, arrêts maladie, démissions et décisions regrettables).

Le problème tient souvent plus à la façon de l’exprimer (ou le recevoir) qu’au désaccord lui-même.

Devant un blocage, on peut aussi faire appel à un tiers médiateur qui facilitera la communication et utilisera des méthodes visant à faire émerger des terrains d’entente.

Mais plus généralement, apprendre à mieux être en désaccord devrait être un savoir-être incontournable.

Comment mieux exprimer son désaccord … et le recevoir

J’ai longtemps été spécialiste pour monter comme le lait dans la casserole pour exprimer mon désaccord (mais je me soigne)…

Souvent, je tentais le forcing parce que j’avais le sentiment qu’on ne le prendrait pas en compte. Bien sûr, ce comportement ferme encore plus la porte à sa prise en compte… c’est le cercle vicieux qui mène à la frustration et à l’échec.

Comment en sortir ?

Comme toujours la relation va dans les deux sens : savoir mieux exprimer son désaccord et mieux laisser la place au désaccord de l’autre.

Si je souhaite exprimer un désaccord :

  • Privilégier l’expression en privé plutôt qu’en public : cela réduit le risque que l’interlocuteur veuille à tout prix sauver la face (surtout si les spectateurs sont ses subordonnés).
  • Bien sûr, éviter l’agressivité (facile à dire). Le fait est que le message passe mieux lorsqu’il est présenté dans le calme.
  • Se projeter dans 5 ans, 10 ans, 100 ans : quel sera l’impact d’une mauvaise décision ? Cela permet d’en relativiser (ou pas) la gravité et de voir si le combat en vaut la peine.
  • Chercher l’émotion qui se cache derrière mon avis contraire : est-ce la peur (que la proposition tourne mal)? L’aversion au risque est un puissant frein. Parfois une véritable sécurité, parfois un trouble-fête désagréable.
  • Prendre conscience de ses schémas de fonctionnement : quels sont ses déclencheurs, à savoir les types de propositions ou d’avis provoquent une réaction de rejet.
  • Poser des questions : quel est l’objectif derrière la proposition ? Quels sont les constats qui ont mené à cette proposition ?
  • Chercher la source du désaccord : suis-je contre l’objectif de la proposition ou contre les moyens pour atteindre l’objectif ? Dans le deuxième cas, la situation est moins grave que prévu. Mais dans le premier, il faudra creuser encore, ou devoir accepter la volonté dominante…
  • Lancer un défi : Proposer de tester la solution proposée auprès d’un panel d’utilisateurs par exemple. C’est l’un des conseils de Dale Carnegie dans son célèbre livre ”Comment se faire des amis ?”
  • Ne pas tomber pas amoureux(se) de sa position : c’est le meilleur moyen de perdre la face si elle n’est pas retenue finalement.

Si je reçois l’expression d’un désaccord :

  • Éviter toute expression de mépris ou de rejet du désaccord, explicite ou non (le mutisme contrit compte aussi).
  • S’interdire toutes représailles suite à un désaccord, ou bien ce sera le silence à tout jamais (“faire la tête” compte aussi).
  • Exprimer clairement que c’est l’expression du désaccord qui pose problème et non le fait que l’interlocuteur ait un autre avis, lorsque c’est le cas.
  • Chercher le terrain d’entente en posant des questions : le désaccord porte-t-il sur l’objectif ou les moyens d’y arriver ?
  • Faire la liste des points d’accord et des points de désaccord : on est souvent surpris d’être plus proches que prévu.
  • Laisser de la place à des points de vue opposés : par exemple si on prend naturellement des risques, écouter aussi les avis plus prudents
  • Là aussi, prendre conscience de ses schémas de fonctionnement : quels sont ses déclencheurs, à savoir les types de désaccords difficiles à accepter ?
  • Ne pas tomber non plus amoureux(se) de sa position : c’est le meilleur moyen de perdre la face si l’interlocuteur n’a pas totalement tort, en fait.
  • Proposer un “débriefing” à froid en demandant à son interlocuteur s’il ou elle aurait un désaccord à exprimer. Le simple fait d’ouvrir cette possibilité crée une sécurité, et le sentiment qu’on ne sera pas rejeté.
  • Proposer un temps régulièrement dédié à l’expression des désaccords, par exemple en équipe. Cela permet de mieux formuler les raisons de son désaccord, et d’avoir le temps d’y réfléchir.

Voici la liste de mes bonnes résolutions pour la rentrée (rendez-vous en décembre pour les bonnes résolutions du Nouvel An !)