Résoudre un problème avec la méthode scientifique (de Sherlock Holmes à Dr. House)

Qui dit résolution de problèmes, dit diagnostic préalable pour en dénicher la cause racine. À ce jeu-là, personne ne peut rivaliser avec le célèbre héros de la série Dr. House1, qui trouvait toujours la maladie improbable à l’origine des maux du patient. Et comment s’y prenait-il ? Certes, il était bien aidé par une vingtaine de scénaristes et quatre vrais médecins consultants. Mais surtout, il utilisait une méthode d’investigation ayant fait ses preuves, celle de Sherlock Holmes (lui-même inspiré d’un médecin ayant vraiment existé). Cette méthode, que Sherlock considère comme “le bon sens systématisé”, est un savant mélange de démarche scientifique et de techniques de créativité. Elle peut être utile pour les problèmes dans lesquels on cherche à identifier une vérité objective (cause de dysfonctionnement, facteurs-clés de réussite ou d’échec, besoin d’amélioration etc.), mais moins pour les problèmes d’ordre relationnel qui répondent à des logiques systémiques2. Elle peut s’apprendre grâce aux “enseignements” de House et de Sherlock…

House M.D., Universal/Fox

Le médecin mène l’enquête

Contrairement aux autres séries à suspense, dans Dr. House (2004-2012), le héros ne cherche pas le coupable d’un crime mais la maladie qui menace de tuer un patient.

Chaque épisode est construit sur la même trame : un quidam vaque tranquillement à ses occupations quand surviennent d’inexplicables symptômes qui mettent sa vie en danger à brève échéance.

Direction alors l’hôpital universitaire de Princeton-Plainsboro, et le service du Dr. Gregory House, un misanthrope à la fois ronchon, sarcastique et espiègle qui va mener une véritable enquête pour débusquer la pathologie sous-jacente.

Pendant les trois quarts de l’épisode, House navigue à vue, tout le monde le croit fou et le patient manque trépasser, mais à la fin il trouve la clé du mystère – à la surprise générale bien sûr !

Le public est bien aise que le coupable soit démasqué mais peine souvent à retenir son nom : Neurocysticercose, Panencéphalite sclérosante subaiguë et autres Protoporphyrie erythropoiëtique (hypocondriaques s’abstenir).

En réalité, ce n’est pas tellement le suspense médical qui a fait le succès de cette étrange série dont on ne comprend pas la moitié des dialogues.

Comme dans Columbo, c’est plutôt la démarche intellectuelle et la personnalité du héros, ici à la fois originales et étrangement familières.

Élémentaire (mon cher Wilson)

David Shore, le créateur de Dr. House, ne fait pas mystère du fait que Gregory House est inspiré de Sherlock Holmes3, en moins bien élevé. De nombreux indices le confirment (outre la ressemblance de leurs noms) :

  • House, comme Holmes, est arrogant et asocial, mais aussi très curieux et fin observateur,
  • Il est flanqué d’un acolyte à la personnalité opposée, le Dr. James Wilson, en lieu et place du Dr. John Watson,
  • Son appartement est situé au “221 B Baker Street” à Princeton (New Jersey), comme la célèbre adresse de Sherlock à Londres,
  • Il est dépendant à la Vicodin, un analgésique opiacé sensé soulager sa douleur chronique à la jambe, tandis que Holmes prend de la cocaïne,
  • Holmes est violoniste, House pianiste (il joue aussi de la guitare et de l’harmonica),
  • La Directrice de l’hôpital où travaille House et Doyenne de la faculté de médecine, la Dr. Lisa Cuddy, est aussi tenace et académique que l’Inspecteur Lestrade de Scotland Yard qui consulte Sherlock Holmes sur ses enquêtes…

Mais surtout, House et Holmes partagent un besoin quasi pathologique de résoudre des énigmes : Sherlock sombre dans la drogue quand il n’est pas sur une enquête et House est capable de kidnapper un acteur après avoir soupçonné une tumeur en le regardant à la télévision (S4-E14) …

Le vrai médecin derrière le détective4

Est-ce vraiment Gregory House qui est inspiré de Sherlock Holmes ou l’inverse?

Avant de devenir écrivain, Sir Arthur Conan Doyle (1859-1930) était d’abord médecin et écrivait en attendant ses patients. Il a créé Sherlock Holmes en pensant à son professeur à l’Université d’Édimbourg, le Dr. Joseph Bell (1837-1911), ce qu’il lui confirme dans une lettre :

C’est très certainement à vous que je dois Sherlock Holmes (…). Autour du noyau déduction – inférence et observation, que je vous ai entendu nous inculquer, j’ai essayé de construire un homme qui pousse la chose le plus loin possible – et plus encore parfois – et je suis ravi que le résultat vous plaise, vous qui êtes le critique ayant le plus le droit d’être sévère.

Robert Louis Stevenson, l’auteur de L’île au Trésor et de L’étrange cas du Dr. Jekyll et de Mr. Hyde, avait également reconnu Joseph Bell sous les traits de Sherlock, comme il l’écrit à Conan Doyle : “Permettez-moi de vous féliciter pour vos très ingénieuses et intéressantes aventures de Sherlock Holmes (…). Une seule chose m’interpelle : ne s’agirait-il pas de mon vieil ami Joe Bell ?

“Joe” Bell, ainsi qu’il était surnommé par ses étudiants, était renommé pour ses diagnostics spectaculaires sur la base de fines observations, qui faisaient l’originalité de son enseignement. Il identifiait l’histoire des patients et la maladie dont ils souffraient à partir de leur attitude, de leurs vêtements ou des callosités de leurs mains.

La méthode Bell était rarement prise en défaut : alors qu’il était persuadé d’avoir affaire à un militaire, ce que le patient niait vigoureusement, il finit par découvrir que l’intéressé était en fait déserteur !

Ce n’est pas pour rien que Wilson offre à House le manuel de chirurgie de Joseph Bell pour Noël avec le petit mot “Greg, ça m’a fait penser à toi” (S5-E11) car Bell était aussi rusé et drôle que House, et boitait également (des suites de la diphtérie), mais apparemment se montrait beaucoup plus sympathique avec son entourage et ses patients …

Conseiller de la Couronne en médecine légale, pionnier de la formation des infirmières avec Florence Nightingale, il fut aussi l’un des premiers professeurs au Royaume-Uni à enseigner la médecine aux femmes.

Alors, que peut-on apprendre de sa “Méthode”, romancée par Conan Doyle et modernisée dans Dr. House?

La méthode Bell + Holmes + House

Concrètement, c’est un raisonnement “à rebours” (”Reasoning backward” selon les termes de Sherlock) qui consiste à remonter de ses observations – les fameux indices – vers une cause dont on apprécie la probabilité en fonction de ses connaissances.

C’est ainsi que Holmes décrit la démarche : “Nous avons approché le problème avec l’esprit neuf, ce qui est toujours un avantage. Nous n’avons élaboré aucune théorie. Nous étions là seulement pour observer et construire des inférences sur la base de nos observations (La Boîte en carton, in Son dernier coup d’archet)”.

Il avait estomaqué le Dr. Watson lors de leur première rencontre en affirmant, sans rien savoir de lui, qu’il était allé en Afghanistan. Il expliquera avoir compris que Watson était médecin militaire et d’où il revenait, à partir de son attitude, de sa peau tannée et de sa blessure, dans le contexte de la seconde guerre anglo-afghane (1878-1880).

House utilise également une série d’indices pour comprendre par exemple ce qui amène un patient en consultation, alors que ce dernier reste muet et tente de rebrousser chemin :

House : « Vous pensez que “ça” va ressortir tout seul ? … vous êtes là depuis une demi-heure et vous ne vous êtes pas assis, ce qui me donne la localisation du problème. Comme vous ne me dites pas ce que c’est, ça signifie que c’est humiliant. Ce petit oiseau tatoué sur votre bras me dit que vous avez une haute tolérance à la honte, donc à mon avis, ce ne sont pas des hémorroïdes. Je suis médecin depuis 20 ans, rien de ce que vous direz ne pourra me surprendre.

Le patient : …C’est un lecteur MP3… » (S1-E3).

Selon les souvenirs de l’un de ses anciens étudiants, Joe Bell résumait sa méthode ainsi : “Utilisez vos yeux, utilisez vos oreilles, utilisez votre cerveau, votre perspicacité et vos pouvoirs de déduction (…), ces déductions doivent néanmoins être confirmées par des preuves absolues et concrètes. (…) Ne négligez jamais de ratifier vos déductions« 5.

Devant un problème, la méthode de Sherlock Holmes consiste donc à rechercher des informations observables et d’en induire ensuite la cause au moyen de la méthode scientifique, au lieu d’essayer de “deviner” tous azimuts.

Cette démarche systématique paraît logique mais elle n’est pas si naturelle : nous avons tous tendance à partir de notre vision intuitive et à foncer sur la solution la plus séduisante.

Pour Maria Konnikova dans son ouvrage sur Sherlock Holmes6, l’œuvre de Conan Doyle illustre la typologie des fonctionnements de l’esprit décrite par Daniel Kahneman dans “Système 1, Système 2”7.

Le système 1 est le mode de pensée qui démarre au quart de tour, qui comble les trous pour donner du sens, qui suit ses intuitions et pousse à l’action ; une sorte de pilote automatique qui nous permet d’avancer dans un monde qui nous assaille d’informations, mais nous expose aux biais et aux préjugés…

Il est incarné par le Dr. Watson, le narrateur auquel le lecteur s’identifie, qui ne remarque pas les détails apparemment insignifiants, suit ses intuitions et se précipite dans l’action.

Le système 2, au contraire, est froid et systématique, méthodique, plus lent, mais plus énergivore également (on ne pourrait pas vivre sous le seul empire du Système 2). Il est évidemment l’apanage de Sherlock Holmes, dont le processus inébranlable et les raisonnements laissent tout le monde pantois.

Comme elle permet d’identifier des vérités objectives, cette méthode est utile dans tout problème fermé (recherche de cause) ou pour la validation de pertinence d’une piste, par exemple, d’innovation8.

Voici comment procéder en pratique :

  1. Glaner le maximum d’informations pertinentes (Lire ci-dessous)
    • L’information, matière première du raisonnement
    • Maîtriser l’art de l’observation
    • Mobiliser ses connaissances
  2. Identifier des hypothèses probables (Lire la 2ème partie)
    • Raisonner par conjectures
    • Chercher le maximum de pistes
    • Utiliser des boussoles logiques
    • Agir en scientifique : rationalité, curiosité, créativité
  3. Valider les hypothèses (Lire la 3ème partie)
    • Tester les hypothèses scientifiquement
    • Prendre du recul, s’aérer l’esprit
    • Réévaluer son approche en continu

1. Glaner le maximum d’informations pertinentes

L’information, la matière première du raisonnement

Tout élément peut avoir son importance

Pour Sherlock Holmes tout repose sur l’information : “Data ! Data ! Data ! s’écria-t-il avec impatience, je ne peux pas faire de briques sans argile (Les Hêtres rouges, in Les Aventures de Sherlock Holmes)”.

Muni de sa fameuse loupe, il se rend sur les scènes de crime et observe les plus petits détails, et notamment les traces de pas laissées un peu partout au gré de la météo anglaise : “Quelle chance qu’on n’ait pas eu de trop forte pluie depuis hier ! (Le Signe des Quatre)”.

Ou encore il s’infiltre, déguisé, parmi les cochers, afin de mieux entendre les potins (Un Scandale en Bohême, in Les Aventures de Sherlock Holmes).

Il a enfin une armée de petites mains qu’il envoie fureter partout et qu’il surnomme les “francs-tireurs de Baker Street”, des gamins des rues emmenés par Wiggins qui passent inaperçus des criminels.

Pour Gregory House aussi, toute information sur son patient compte : son histoire, son environnement, ses relations avec ses proches, ses difficultés au travail etc. Car, comme il le dit à un patient agacé d’être soumis à un véritable interrogatoire : “Croyez-moi, on ne sait jamais quelle information sera la clé qui vous sauvera la vie (S2-E24)”.

Par exemple, le fait qu’un patient a été adopté lui permet d’imaginer que sa mère biologique n’avait peut-être pas été vaccinée et qu’il aurait pu attraper une maladie avant sa propre vaccination, ou encore c’est en apprenant que le patient avait un chat, récemment décédé, qu’il trouve la clé du mystère (*).

Il est aussi capable de lire tous les articles de presse people sur une jeune patiente célèbre, lui permettant de comprendre, entre les lignes d’une interview, les abus qu’elle subit (S2-E13).

Et à l’instar de Sherlock, il dispose de sa petite bande de monte-en-l’air, son équipe de jeunes médecins qu’il envoie fouiller les appartements des patients à la recherche d’un champignon ou d’une invasion de termites.

On ne cherche effectivement jamais trop d’indices qui pourraient expliquer une situation problématique. C’est ainsi en plaçant les différents cas de choléra sur la carte de Londres que le Dr. John Snow (1813-1858) a fait le lien avec le réseau de distribution d’eau, alors qu’à l’époque l’hypothèse privilégiée était que cela provenait de l’air.

Toujours partir de l’information, sans essayer de « deviner »

Sherlock coche la case “sans opinion” tant qu’il n’a pas fouillé les poches du cadavre ou examiné les alentours : “Je n’ai pas de données pour l’instant. C’est une erreur majeure de théoriser avant d’avoir des données. Insensiblement, on commence à déformer les faits pour les adapter aux théories, au lieu d’adapter les théories aux faits” (Un Scandale en Bohême, in Les Aventures de Sherlock Holmes).

Tout l’inverse de l’inspecteur Jones qui soupçonne déjà le frère de la victime alors qu’il vient à peine d’arriver sur la scène de crime et n’a pas commencé ses investigations (Le Signe des Quatre).

Holmes prétend ainsi qu’il ne “devine” jamais car c’est une habitude destructrice des facultés logiques (mais il a souvent de la chance quand même !).

En tout cas, il s’appuie toujours d’abord sur des faits, et c’est aussi ce que reconnaît Cuddy à propos de House : “Tu n’as pas d’intuitions, tu as toujours des raisons” (S3-E1).

Cette recherche préalable d’information du terrain rappelle le Design Thinking, cette démarche d’innovation inspirée par les designers qui part toujours de l’observation des utilisateurs, à l’opposé de toute conception en chambre9 :

La meilleure façon d’apprendre à les connaître est de nous rendre sur place, là où ils vivent, travaillent et jouent. Tout projet implique donc une période d’observation intensive. Nous regardons ce que font les gens (et aussi ce qu’ils ne font pas) et nous écoutons ce qu’ils disent (et ce qu’ils taisent)”.

Cette étape préalable peut sembler consommatrice en temps, mais quid d’une fausse piste ou d’une fausse bonne idée ?

Maîtriser l’art de l’observation

Utiliser ses sens

House et Holmes se démarquent par un sens aigu de l’observation : “ Je me suis entraîné à voir ce que les autres négligent” (Une Affaire d’identité, in Les Aventures de Sherlock Holmes).

Sherlock ne rate ainsi jamais rien de ce qui se passe, même quand il tourne le dos:

“- Comment saviez-vous ce que j’étais en train de faire ? On croirait que vous avez des yeux derrière la tête.

-J’ai plutôt une cafetière en argenterie très bien polie devant moi, dit-il” (Le Chien des Baskerville).

Cela veut dire regarder, mais aussi écouter, et même sentir, comme l’odeur d’ammoniac caractéristique de certaines maladies du foie (S3-E18).

C’est ainsi qu’un véritable professeur de dermatologie emmène ses étudiants décrire des tableaux dans un musée pour entraîner leur sens de l’observation10.

Pour entraîner ses propres étudiants à l’observation, Joe Bell leur demanda un jour de tremper leur doigt dans un liquide suspect pour le sentir et le goûter, en montrant d’abord l’exemple lui-même. Une fois que le flacon eut fait le tour de l’assistance qui grimaçait de dégoût, il dit : “Si vous m’aviez vraiment observé, vous auriez vu que j’ai trempé l’index dans l’affreux liquide mais que c’est le majeur que j’ai mis dans ma bouche !”11.

Cette démarche est caractéristique du travail des anthropologues, comme le décrit Nicolas Nova dans un ouvrage d’exercices d’observation qui s’appuie sur leurs méthodes12 : “L’important est surtout de savoir diriger ses sens, de faire varier les points de vue ou les dimensions de la situation considérée, et d’apprendre à repérer des détails avec précision“. Il propose par exemple un exercice de portrait biographique, qui consiste à dresser le portrait de quelqu’un à partir de toutes les informations en sa possession, allure, vêtements, gestes, voix etc.

Peut-être House était-il inspiré en cela par son interprète, l’acteur britannique Hugh Laurie, diplômé de Cambridge en anthropologie.

Remarquer l’information pertinente

Observer ne signifie pas seulement voir mais surtout remarquer. Cela nécessite d’“attraper” l’information pertinente au milieu de toutes les autres, puis de révéler son sens.

Par exemple, le nombre inhabituel de pastilles à la menthe que possède un patient attire l’attention de House et lui permet de faire le lien avec une pathologie qui donne mauvaise haleine (*).

C’est aussi à partir des curiosités dans son emploi du temps qu’il avait dressé le portrait de sa future boss Cuddy lors de leur première rencontre à la librairie de la fac de médecine quand ils étaient étudiants, comme elle le lui rappelle un jour :

Je tends mon programme au gars derrière le comptoir, il me regarde à peine, survole la feuille et dit : “tu es hyper ambitieuse, tu as une revanche à prendre et tu sais faire la fête”. Je réponds : “d’où tu sors ça ?”… Et tu as dit : “ton programme est surchargé mais tu n’as pas de cours avant 11h et personne ne prend les cours du professeur Lamb à moins d’avoir quelque chose à prouver”… (S6-E7).

La première étape est de cadrer suffisamment le problème pour savoir où diriger son attention, ou encore quelles questions poser aux témoins ou au patient13. Par exemple, lorsque Sherlock observe une canne, il définit d’abord son objectif : en savoir plus sur son propriétaire (Le Chien des Baskerville).

Savoir ce que l’on cherche augmente aussi les chances de le trouver car sinon on risque de passer à côté d’une information simplement parce qu’on ne l’attend pas14: “C’était invisible, enfoui dans la boue. Je l’ai vu seulement parce que je le cherchais (Silver Blaze, in Les Mémoires de Sherlock Holmes)”.

Et une fois l’information pertinente isolée, et pour révéler son sens, une solide base de connaissances est indispensable, car encore fallait-il connaître la réputation du professeur de Cuddy ou les effets de telle maladie…

Mobiliser ses connaissances

La capacité d’observation n’est rien sans une connaissance fine du sujet.

House a évidemment un savoir encyclopédique sur les pathologies avec lesquelles il jongle : sarcoïdose, lupus, pneumothorax, etc. On le surprend aussi souvent en train de lire diverses revues médicales, même sur son canapé, et il fait croire à Wilson qu’il est au lit avec une femme alors qu’en réalité il épluche la “Revue de cardiologie du New Jersey “ (S2-E16).

Enfin, sa réflexion se nourrit de toute son expérience pratique, et ce depuis les cas présentés par ses professeurs à la fac de médecine, comme le spectateur le découvrira en assistant à son dialogue “intérieur” pendant un diagnostic très particulier (S5-E22).

Pour Sherlock Holmes, l’esprit humain est comme un grenier (”Brain attic”) qu’il faut meubler avec le plus d’outils possibles, mais à condition qu’ils lui soient utiles dans son travail15. C’est un véritable nerd, obsessionnel et monomaniaque, capable de connaître toutes les sortes de poisons mais pas le fonctionnement du Système solaire, à la consternation de Watson :

“- Mais le Système solaire ! protestai-je.

-Qu’est-ce que ça peut me faire ? m’interrompit-il avec impatience : vous dites qu’on tourne autour du Soleil. On tournerait autour de la Lune que ça ne ferait pas la moindre différence pour moi ou pour mon travail (Une Étude en rouge)”.

Mobiliser ses connaissances ne signifie pas seulement en accumuler, il s’agit de savoir les utiliser au bon moment, ce qui nous renvoie à la notion d’attention et à la capacité à faire le lien.

Car selon une étude citée par la Dr. Lisa Sanders, (dont les articles ont donné aux producteurs l’idée de Dr. House et qui était consultante pour la série) les erreurs de diagnostic ne seraient pas liées à une absence de connaissances théoriques mais à une faiblesse au niveau de la collecte des données, et surtout au niveau de la synthèse, c’est-à-dire de la capacité à faire le lien entre les données et les connaissances16.

Devant un problème donné, être expert (ou s’en adjoindre au besoin) est sans doute un préalable, mais un œil candide peut aussi être utile si, en posant les bonnes questions à l’expert, il l’aide à faire le lien entre ses connaissances et les données.

Pour traiter un problème récurrent dont on cherche une cause ou des facteurs, une technique peut être de tenir un journal de ses observations. En notant minutieusement ce qu’on constate à chaque fois que le problème se présente, on peut identifier des motifs récurrents ou des corrélations que l’on n’aurait pas remarquées autrement. On peut aussi noter ses décisions et les raisons pour lesquelles on les a prises, afin de voir si les faits ont tourné comme prévu ou s’il faut à nouveau recadrer le problème.

Avant d’élaborer la moindre théorie, la première étape est de recueillir des données sur la situation, car la théorie devra coller aux faits et non l’inverse. La collecte des données doit être systématique, mais pour identifier l’information pertinente parmi toutes les autres, il faut savoir ce que l’on cherche afin de diriger utilement son attention, et c’est la mobilisation des connaissances sur le sujet qui va permettre de donner du sens à l’information.

Pour lire la suite : 2ème partie Identifier des hypothèses probables


  1. House M.D, série créée par David Shore, produite par Katie Jacobs et Paul Attanasio, avec Hugh Laurie, Lisa Edelstein, Robert Sean Leonard, NBC Universal (8 saisons)
    Si on ne devait citer qu’un seul épisode ? Three Stories ou Cours magistral en VF (S1-E21) : Cuddy oblige House à donner un cours aux étudiants en médecine. Il les fait réfléchir sur trois cas de patients présentant la même douleur… (Emmy Award du meilleur scénario en 2005). ↩︎
  2. M. Walbrou, introduction à l’analyse systémique, Bloculus ↩︎
  3. David Shore On Coming Up With House, YouTube ↩︎
  4. E. M. Liebow, Dr. Joe Bell, Model For Sherlock Holmes, University of Wisconsin, P. Press, 1982, éd. 2007 ↩︎
  5. Note 4 ↩︎
  6. M. Konnikova, Mastermind, How To Think Like Sherlock Holmes, Canongate, 2013 ↩︎
  7. D. Kahneman, Système 1, Système 2, les deux vitesses de la pensée, 2011, éd. française Flammarion, 2016, trad. R. Clarinard ↩︎
  8. G. Young, Thinking Backward, How Sherlock Holmes Can Make You A Better Problem Solver, Young Associates, 2012 ↩︎
  9. T. Brown, L’esprit design, Harper Business 2009, éd. française Pearson, 2014, trad. L. Nicolaieff ↩︎
  10. Dr. L. Sanders, All Patients Have A Story To Tell, Broadway Books, 2009 ↩︎
  11. Note 4 ↩︎
  12. N. Nova, Exercices d’observation, dans les pas des anthropologues, des écrivains, des designers et des naturalistes du quotidien Premier Parallèle, 2022 ↩︎
  13. Note 10 ↩︎
  14. Note 10 ↩︎
  15. Note 5 ↩︎
  16. Note 10 ↩︎